Hanji (Scooping Up the Moonlight / Dal-bit gil-eo-ol-li-gi), Im Kwon Taek, 2011
Voici le 101éme film du grand réalisateur coréen Im Kwon Taek. Agé de plus de 75 ans et après 50 ans de carrière il n'a pas fini de nous étonner et d'avoir envie de tourner de nouveaux longs métrages. Hanji désigne en coréen le papier traditionnel fait main depuis plus de deux millénaires. C'est le titre international choisi pour le film qui n'a apparemment rien à voir avec la traduction du titre originel. Mais laissons de coté l'ergotage pour nous concentrer sur le sujet. Car Hanji (c'est plus facile à écrire et retenir que Dal bit gil eo ol li gi) est un film très original puisqu'il est à mi chemin entre le documentaire et la fiction dramatique. Il parle de papier, de petite industrie, d'histoire, de spiritualité et plus largement de l'âme de la Corée. Il questionne la modernité et le passé ainsi que la place du pays du matin calme dans le monde. Rien que ça.
Im Kwon Taek poursuit en fait son exploration des savoirs faire et arts typique de son pays puisqu'il avait déjà consacré un film à un aspect en voie de disparition de la culture coréenne à savoir le Pansori. Car si le Hanji est un papier à base de bois de murier, il sert à réaliser bien d'autres choses que des livres. Fenêtres, services à thé, pot de chambre, commode, habits... les coréens s'en sont servit pour à peu prêt tout grâce à ses remarquable qualité de solidité et durabilité par rapport à son poids. On comprend donc que ce papier élevé au rang d'art et réputé à travers toute l’Asie pendant des siècle ait intéressé le réalisateur.
Pil Yong est un bureaucrate de bas étage, intelligent mais qui n'a jamais réussi à s'élever dans la société. Sa femme est handicapée depuis une attaque cardiaque faite après qu'elle ait appris que son époux avait une maitresse. Depuis il tente de se faire pardonner. Lorsqu'une grosse société lui propose d'intégrer le projet de restauration des annales de la dynastie Joseon (qui viennent d'être restituées au pays après que les Japon les ais volé pendant la guerre) il saute sur l'occasion malgré sa faible appétence pour le sujet du papier. Ce qui n'est pas le cas de sa femme puisqu'elle vient d'une famille de papetiers. Il croise lors de ses démarches auprès de petits artisans la réalisatrice d'un documentaire sur la fabrication de ce fameux papier. Il essaie en effet de convaincre les derniers fabricants main de se joindre au projet. Mais les contraintes sont lourdes, les subventions plus faibles que prévu et chaque maitre papetier pense sa méthode comme la meilleure. Il va finalement trouver l'aboutissement de son travail avec l'un de ces maitres aux méthodes traditionnelles. Sa femme, quelques fous et la réalisatrice seront la pour voir la naissance de ce papier qui « dure mille ans ».
Hanji n'est pas un thriller, il n'y a aucun suspense ou presque et il vaut mieux être assez patient et trouver un intérêt si minime soit-il dans la fabrication de ce papier ou la culture coréenne pour aimer ce film. Car l'aspect documentariste, mémorialiste est assez prégnant même si les éléments de fiction existent et sont présent on assiste grosso modo à un exposé géant sur les qualités du papier Hanji et sa place dans la culture coréenne. Il est d'ailleurs intéressant de voir que les critiques coréennes ont bien moins aimé ce film que les étrangères. L'exposé leur paraît sans doute trop démonstratif et lent alors que pour nous, néophytes, le rythme est juste assez rapide et les connaissances habilement distillés. Mais le but d'Im Kwon Taek était bien de faire connaître cet aspect aujourd'hui oublié de l'industrie nationale aux étrangers, et notamment aux asiatiques autrefois fans du papier hanji. Il est d'ailleurs parait-il toujours le meilleur pour la calligraphie. Bref, pour ceux qui ont vu la pègre cela risque de faire un petit choc, le rythme n'est pas le même et la tension non plus. C'est un tout autre exercice auquel s'est livré Im Kwo taek mais au travers duquel il démontre aussi son immense talent. Comme je l'ai dit la balance entre documentaire et fiction est à mon goût très juste et équilibrée et les personnages se répartissent les différentes tâches assez habilement. La présence de la réalisatrice permet quelques très beaux plan autour des objets en hanji finement mis en lumière et une ou deux interview instructive. Mais le rôle participe aussi à la fiction puisqu'elle (la réalisatrice) a une histoire d'un soir avec Pil Yong. Ce dernier, s'il est avant tout romanesque et fictionnel sert aussi l'autre aspect en s'instruisant sur le sujet lors de son embauche. Sa femme, dont les origines sont très liées avec le thème du film est évidemment elle aussi entre les deux mondes auxquels se rattache Hanji.
La figure de Hyo Kyung (la réalisatrice) est très intéressante puisqu'elle permet une mise en abyme à Im Kwon Taek qui parle parfois par sa bouche (du moins c'est mon impression) notamment lorsque celle ci, un peu ivre, se livre et dans un jeu de question réponse à elle même explique ce qui la pousse à réaliser des films documentaires et pas des fictions pures. Devoir de mémoire, besoin de dire ce qui doit l'être. Ce n'est pas bien sur un film testament pour le réalisateur mais il semble donner plus directement un point de vue sur son métier et prendre un peu de recul sur celui ci.
Hanji est donc un film passionnant, instructif, beau, bien mis en scène et interprété qui trouve son aboutissement dans une dernière scène pleine de poésie et qui contient (je suppose) l'âme du hanji, part entière et très ancienne de la culture coréenne. Un film témoignage beau et intelligent.
Carcharoth