Be with me, perle venue de Singapour.

Publié le par Nostalgic-du-cool

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« Be with me » de Eric Khoo : Le film qui fait croire aux miracles :

 

Il arrive que certains films surgissent comme ça, d'on ne sait où, sorti de l'ombre sans un bruit, sans prévenir, sans crier garde, et frappent de plein fouet tout le monde, s'imposant à tous de la manière la plus simple et la plus évidente...C'est très rare, mais « Be with me » du presque inconnu (alors) auteur singapourien Eric Khoo, est de cette trempe. Présenté à Cannes en 2005 en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, le film reçut tout de suite un grand enthousiasme de la part du public et des critiques, et a obtenus une solide réputation.

En effet, il est impressionnant de voir qu'un si petit film (le projet a coûté une somme dérisoire) provenant d'un tout petit pays pas connu pour une production cinématographique dynamique et riche en comparaison à d'autres pays de la région (bien évidemment la Corée, la Chine ou le Japon, sans oublier Taïwan), a pu susciter autant de bruit et de louanges.

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Car en effet, « Be with me » est un miracle de cinéma, dans le sens le plus strict et le plus catégorique du terme, une oeuvre d'art nécessaire, indispensable, poignante et profondément humaniste.

« Amour, espoir, destin » voilà ce que Eric Khoo répond quand on lui demande de quoi parle son film. Celui-ci s'axe sur trois histoires d'amour parallèles, qui n'ont aucun lien entre elles, mais qui prennent une grande cohésion autour du personnage central du film (qui apparaît environ au milieu) : Teresa Chan, qui joue dans le film son propre rôle, et dont la vie nous est relatée par des sous-titres. Car ce qui est particulier au sujet de cette femme de 61 ans, c'est qu'elle est devenue brutalement et pour des raisons inexplicables sourd, puis aveugle à l'âge de 11 ans. Pourtant, elle a continué de vivre, et plus encore, n'a pas perdu espoir, au-delà de son immense solitude (puisqu'elle n'a plus aucun moyen de communiquer avec les autres) et de sa souffrance. Ainsi, autour de ce personnage central, on trouve l'histoire de deux jeunes adolescentes qui tombent amoureuses l'une de l'autre, cependant l'une des deux se sent partagée entre cette relation, et ses sentiments envers un jeune homme qui lui tourne autour. On trouve également un gardien de nuit obèse et maladroit qui est éperdument amoureux d'une brillante et magnifique jeune femme employée de bureau dans le building où il travaille, mais à qui il n'arrive pas à communiquer ses sentiments. Puis on croise aussi l'histoire d'un vieil homme qui tient une petite boutique sur rue, mais qui se replie lentement sur lui-même, hanté par le souvenir de sa femme morte dont il n'arrive pas à faire le deuil. C'est donc une chronique de l'existence humaine à travers ses différents âges que Eric Khoo tisse subtilement, de l'innocence et l'explosion de vie caractérisée par l'adolescence, en passant par la lente désillusion de l'âge adulte, pour finir par le désespoir et l'angoisse de la mort de la vieillesse, un portrait de la condition humaine au sein du monde moderne et urbanisé.

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Ainsi ses destins de souffrance et de solitude, d'amour platoniques impossibles ou d'amour détruit par les coups de l'existence ne sont finalement liés que par cette souffrance universelle et inhérente en chacun de nous. Mais pourquoi cette souffrance ? Et comment la dépasser ? Que pouvons-nous en faire ? Comment vivre avec ce fardeau implacable qui ronge de l'intérieur ?

De toutes ces questions en suspens posées par ces histoires fragmentaires, Teresa Chan s'impose comme la résolution concrète et miraculeuse de l'énigme, et comme la clef de voûte du film, qui, sans aucun doute là-dessus, n'aurait eu absolument aucun intérêt sans sa personne. Pour preuve, cela faisait des années que Eric Khoo et son scénariste n'avaient pas réussi à terminer leur histoire, décrétant qu'il y manquait quelque chose, jusqu'à ce que Khoo rencontre par hasard au cours d'un dîné Teresa. Le contact est passé immédiatement entre les deux, et il lui proposa donc de jouer dans son film, ce qu'elle accepta sans détour. A l'époque, elle venait de terminer d'écrire son autobiographie, mais refusait de la publier, même sous le conseil de Eric Khoo avec qui elle entretenu une abondante correspondance par la suite. C'est justement de ses écrits que provient le récit dans le film de la vie de Teresa. Et ce qui est impressionnant dans ce long métrage, c'est de voir à quelle point le personnage de Teresa ainsi que le récit de son histoire accompagné par des images de son quotidien, s'incère à merveille au sein du film, comme un engrenage parfait d'une machine bien huilé. Rien que pour ce coup de maître, où Eric Khoo concilie magistralement le récit fictif au documentaire, « Be with me » vaut le détour. De plus, ce qui est très intéressant et qui fut salutaire, est que, bien que le film revêt aisément l'aspect d'un mélodrame, Eric Khoo ne sombre jamais dans un misérabilisme pompeux, un pathos écoeurant et ne cherche jamais à ce que le parcours terrible de Theresa nous suscite de la pitié, ou nous tire la larme à l'oeil, ce qui est une démarche très intelligente et respectueuse vis-à-vis et du public, et bien entendu de Teresa Chan.

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Car chaotique, terrible et cruelle, c'est les mots qui nous viennent vite à l'esprit au sujet de sa vie, mais aussi lumineuse, miraculeuse, marquée par une force et une volonté de vivre incroyable, une quête de rédemption, de paix, d'humanité et la ferme décision de garder toute sa dignité et sa bonté d'être humain, malgré le poids des ans, et la douleur de la perte. Il y aurait tellement à dire sur sa vie, mais je ne tiens pas à m'avancer pour vous laisser intacte la découverte de sa lutte, du portrait saisissant de cette figure presque christique, mis à l'épreuve par Dieu tel Jobbe, mais qui n'a de cesse de garder la foi, ainsi qu'un infatigable espoir en l'homme et en le monde, malgré le présent chaotique et profondément désillusionné et désenchanté.

En effet, si Eric Khoo fixe sa caméra sur les hommes, c'est justement pour tenter de redonner une place et la parole à des individus broyés et écrasés par un monde urbain totalement déshumanisé, froid et inhumain. « Be with me » se veut la peinture d'un malaise existentiel nouveau, lié aux conditions aliénantes du monde moderne, vorace d'expansion, de développement, de croissance et donc, par delà ces notions, totalement déserté par ce tissu pourtant primordial et essentiel, l'humain. Car Khoo met en avant avec son film un paradoxe très intéressant mais qui tombe finalement sous l'évidence : l'humanité n'a jamais été aussi étroitement liée à travers le monde, par le biais de moyens de communications de plus en plus modernes et performants, mais cependant, l'homme ne s'est jamais senti aussi seul et coupé du contact de l'autre, privé de l'humain. Car réfugiés derrière nos téléphones portables et nos ordinateurs, nous perdons un lien essentiel, le lien, le contact humain, ce qui nous confronte au fait que les hommes se replient peu à peu sur eux même, et que l'Humanité est de plus en plus affecté par un phénomène de désolidarisation, de repliement et d'égoïsme et un problème d'incommunicabilité entre les êtres...C'est donc sur un constat profondément pessimiste que Khoo redonne ensuite magistralement place aux hommes, qu'il « recadre » l'attention sur finalement le plus essentiel et le plus vital, sur les individus...et au spectateur d'écarquiller les yeux, de prendre conscience et peut-être même de faire en sorte de devenir plus humain, au sein de ce monde inhumain. Je tiens donc à souligner la démarche exemplaire de Eric Khoo, qui a réalisé un grand film humaniste comme on en attendais depuis très longtemps, sans artifices ni maniérisme intempestif, mais une oeuvre d'art nécessaire et ouverte à tous puisqu'il y réside un vrai intérêt. Et à mon sens, si le film bouleverse et touche autant, et si il est si important, c'est parce que, cette fois ci, nous n'avons pas affaire à de la fiction, mais à un témoignage réel issu de l'expérience d'un être humain ordinaire, aussi banal et inconnu que nous même. Tout semble bien réel, et il semble résider dans le film une certaine honnêteté vis-à-vis du spectateur.

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Ainsi le personnage de Teresa se dresse comme une réponse miraculeuse et porteuse d'espoir, comme un îlot d'humanité dans ce monde inhumain, parce que malgré sa souffrance et son immense solitude, elle n'a eu de cesse de se battre pour continuer de vivre, et a compris que sans les hommes, elle ne pourrait se relever, et continuer. Car en effet, c'est de l'homme que l'homme a besoin ! Et c'est par l'homme, à travers l'autre, à travers sa considération, que l'on apprend, aussi bien à vivre, qu'à dépasser et à se relever de sa souffrance. C'est dans l'autre que l'on trouve le réconfort, c'est dans l'autre que nous trouvons le sens et l'utilité de notre existence, car continuerions-nous à vivre si nous étions le seul être de l'univers ? C'est donc ainsi que Teresa s'est relevée, grâce à l'autre, grâce à l'homme, et finalement nous comprenons que sans l'autre, nous ne serions rien et que c'est justement parce que l'autre existe, que nous prenons toute notre importance et notre raison d'être. Une bonne chose que le film a l'intelligence de nous rappeler (ou de nous apprendre !).

Et c'est alors que les deux destins centraux du film se croisent, celui de Teresa, et du vieil homme qui finalement retrouve une raison d'être en se mettant à faire la cuisine pour Teresa. Et à ces deux êtres de se rencontrer et à Teresa de prendre dans ses bras l'homme, pour le consoler, et l'aimer. Tout est dit.…

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Ichimonji  



Publié dans Singapour

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I
Un film génial à savourer du début à la fin. J'ai profondément été touché par cette oeuvre et ta critique lui rend honneur, tu peux me droire.
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I
Certes...mais pour une critique, certains demandent plus ! Après chacun garde ce qu'il veut...
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P
Je ferai plus court que toi, en reprenant l'une de tes premières phrases, qui dit tout : "Be with me est un miracle de cinéma, dans le sens le plus strict et le plus catégorique du terme, une œuvre d’art nécessaire, indispensable, poignante et profondément humaniste."
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