Triad Society, Le polar social de Miike.

Publié le par Nostalgic-du-cool

 

1995, grande année. Miike sort son premier film, et est remarqué comme réalisateur à fort potentiel. C’est aussi la première fois (mais non la dernière) qu’il usera de violence et d’images très crues pour amener certaines réflexions.

Petit résumé (avec spoilers) : Un flic sino-japonais poursuit Wang, un mafieux chinois homosexuel qui envahit la place des yakuzas, provoquant désordre et amenant de nouveaux trafics, comme celui des organes. Il a engagé le frère du policier comme avocat. Une lutte va donc éclater entre le flic et le chef de gang avec pour arbitre le jeune frère.

Ce film appartient à la trilogie « black Society », il en est donc le premier opus, sans pour autant être le début d’une série, puisque les histoires des trois films ne se suivent pas et ne mettent pas en scène les mêmes acteurs. (Voir article sur Rainy Dog). Le seul lien véritable est le milieu duquel traitent les films, à savoir les laissés pour compte, les exclus (volontairement ou non), les bandits et leur pendant légal, les flics. Un flic justement, est le héro. Un flic pas comme les autres bien sur, (c’est le premier Miike, mais les bases sont déjà la !) puisque il est née a Taiwan (quand je vous disais que c’était une terre propice aux mélanges) d’un père japonais et d’une mère chinoise. Une drôle d’histoire déjà, un homme, issu d’un milieu défavorisé, rejeté par la société (et oui, au Japon, les mixages ne sont pas les bienvenus, surtout avec les chinois depuis l’épisode 1937-45) qui devient policier, qui y réussit malgré tout, mais se retrouve bloqué dans son avancement à cause de ses origines et, officiellement, de ses méthodes. Kiriya, car tel est son nom (le nom de son père, qu’il a prit en arrivant au Japon à l’age de 16 ans, avec ses parents.) combat plus que les autres les mafieux… Chinois ! Paradoxe s’il en est, mais logique d’une certaine manière, puisque pour ne pas être soupçonné de favoriser ceux de son « engeance » (car c’est comme tels que sont perçus les chinois par certains japonais), il est obligé de les chercher plus que les autres, d’être plus inflexible et rigide avec ces membres de la triade, quitte à s’appuyer sur les yakuzas…

Après avoir dressé le portrait (l’esquisse) de cet homme, parlons un peu des mafieux justement. Eux non plus ne sont pas classiques, « normaux » (Y a-t-il des normes en matière de banditisme ? Sans doute…), puisque la plupart sont homosexuels ou bi, que leur chef (Wang, l’ennemi de Kiriya) est accompagné partout par son « mignon », par qui l’affaire débute et se conclue… Mafieux chinois qui représente aussi quelque part le « péril jaune » pour les japonais, (encore une réputation…) puisque ils tenteraient, à l’image de Wang, de s’immiscer partout et de prendre le contrôle de pans entiers de la société nippone… Société qui contre « l’invasion » dresse son meilleur atout, un policier métis. Revenons un peu à lui… Rejeté lors de son enfance à Taiwan (il raconte lors de la scène ou Wang l’enlève et le transporte dans son coffre avoir vécu dans une porcherie en plein hiver (alors que « même la pisse gelait ») parce qu’il avait du sang japonais), mal aimé au Japon (ou d’ailleurs, sa mère, chinoise, ne se plait pas et est constamment malade), il cherche sa place et son identité. En cela, la lutte d’autorité entre lui et Wang à propos de son frère est révélatrice. En effet, il apprend au début de l’histoire que son frère, Yashihito, qui était censé faire des études de droit (payées d’ailleurs par le labeur de son flic de frangin), travaille en réalité comme avocat de Wang, mais pas seulement. Il s’est en effet impliqué plus que de raison dans divers trafics de filles, drogues et organes… Dès lors sa lutte contre le mafieux (chinois) prend une toute autre tournure, elle se transforme en croisade et il se lance à la reconquête de son frère, obstacle dressé par Wang pour empêcher son arrestation, sorte de caution morale garantissant l’intégrité des hommes du gang. Le dilemme est donc cornélien pour Kiriya, qui doit choisir entre la poursuite des trafiquants et l’intégrité de sa famille. C’est dans ce combat qu’il se retrouvera, notamment dans sa rixe avec son frère (comme quoi une bonne baston bien virile, il y a rien de mieux pour remettre les idées en place). Puisqu’on parle de rivalité, revenons sur l’homosexualité des membres de la triade. Du moins des chefs et de quelques hommes. Wang trimbale en effet avec lui un jeune éphèbe efféminé, bègue, qui n’a de cesse de faire des fellations à tous les clients du Chef. Coté hétéro, il y a bien la jeune fille qui sauve Kiryia car il est le seul à l’avoir fait jouir, et ce bien qu’il lui ait précédemment cassé le nez au cours d’un interrogatoire un peu musclé… Tiens, nous revoilà sur un sujet intéressant ! La violence, qui ici est très loin d’être l’apanage des seuls mafieux, puisque les questions posées par les policiers sont bien souvent accompagnés de baffes, coups de tabouret en plein visage ou autres sévices sexuels (ou plutôt fouille au corps très poussée !), avec un mention spéciale à un entraînement de judo hors du commun, avec un partenaire particulier et inattendu. Coté Triade, on peut noter un arrachage d’œil particulièrement ragoûtant, notamment lorsqu’on dirait une aspirine dans un verre d’eau.

Un personnage sur lequel je me suis pour le moment peu attardé, et que j’aurais pu (du ?) inclure dans un paragraphe précédent : le frère avocat. Lui aussi cherche une identité en se créant exact opposé de son frère aîné. Avocat/flic, Bandit/policier, etc…, par exemple lors de la scène où il oblige son frère à faire relâcher les chinois arrêtés au tout début du film. Ils finiront par se retrouver autour de leurs parents, véritable ciment de leur famille, malgré leurs origines différentes. Ce problème est donc finalement considéré comme factice et devant être dépassé par Miike.

Autre thème, le trafic d’organe, qui semble tenir à cœur au réalisateur plus qu’un autre. Les organes étant prélevé en Chine, sur des orphelins ou des pauvres que l’on paye pour obtenir d’eux ce que le Japon ne peut fournir, contre une très forte rémunération bien sur, laquelle va surtout aux bandits, eux même chinois… C’est cela que découvre Kiriya lorsqu’il retourne dans son village pour y ramener un prisonnier immigré clandestin. Moment d’émotion et de nostalgie pour lui, étape de son cheminement intérieur sans doute indispensable.

La photo du film est assez ressemblante au film déjà commenté de la trilogie, elle est verte, grise, très pastel, douce, sans couleurs vives autre que celle du sang et des draps de soie dans lesquels dorment Wang et son mignon... Tout les tons s'accordent à ce quartier mal famé qu'est Shinjiku, lieu ou sont reclus tous les parias, ou se cachent tous les immigrés et ou ont lieux les piresz trafics.

 

D’une opposition classique entre yakuzas et policiers, ce film s’étale et se répand dans plusieurs genres, ou plutôt multiplie ses facettes comme une pierre bien taillé : Sociaux, humains, familiaux, la société est montré sous bien des angles, tous traités avec pudeur, (malgré la présence quasi permanente de violence ou de sexe) mais aussi de façon subversive et parfois burlesque. Une bien belle manière d’entrer dans l’univers de Miike, si l’on a pas peur du sang ou de quelques scènes érotiques. (D’ailleurs non, pas érotique, le sexe est ici filmé comme les choses de la vie, comme ce qu’il est en fait, sans faire de chichis, sans tomber dans le voyeurisme non plus).

Carcharoth



Publié dans Japon

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