Secret Sunshine, de la lumière à l'ombre, le drame d'une vie devenue "une interminable défaite"

Publié le par Nostalgic-du-cool

                 Me revoilà et je continue d'évoquer avec un retard excessif les sorties du cinéma asiatique, vous faisant remonter jusqu'au mois d'octobre de l'année précédente. Pourtant il était impensable de passer à côté de Secret Sunshine, le dernier drame de Lee Chang-Dong en lice pour la Palme, mais surtout je ne pouvais pas passer à côté de l'extraordinnaire duo formé par Jeon Do-Yeon (Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 2007) et Song Kang-Ho (mon acteur preféré, certainement le plus grand acteur coréen actuel). Ce duo porte le film pourtant long (2h30) et complexe car protéiforme, il glisse de la chronique sociale au drame intimiste en passant par la réflexion métaphysique. Ainsi qu'on ait apprécié le film ou pas, je crois qu'on ne peut que s'accorder pour saluer la prestation magique des acteurs.


                     Mais comme toujours commençons par quelques propos sur le réalisateur Lee Chang-Dong du film, dis moi qui tu es je te dirai ce que tu réalises, telle pourrait être ma devise. Alors, né le premier avril 1954, Lee Chang-Dong est un fin lettré, diplomé de littérature coréenne, d'ailleurs il commença par l'écriture, devenant un écrivain engagé (il faut savoir que lorsqu'il écrit dans les années 80 la Corée est encore une dictature militaire). C'est assez tard qu'il se tourna vers le cinéma, entre temps la Corée était devenue une démocratie mais l'homme n'avait rien perdu de son regard critique et nous offre des drames sociaux, reflet des sequelles et des travers de la société coréenne. Son chef d'oeuvre à ce jour reste pour moi le très beau Oasis histoire d'amour surréaliste et émouvante entre un simple d'esprit et une paralysée cérébrale. Après ce film il mettra sa carrière entre parenthèse pour devenir ministre de la culture (tout de même !) poste où il militera pour protéger l'indépendance du cinéma coréen (il recevra même pour son action la légion d'honneur française pour sa contribution à la diversité culturelle). Toutefois éreinté par ce poste il reviendra vite au cinéma avec Secret Sunshine tourné en 2006. Réalisateur au style inclassable tant il aime mêler les genres, il semble s'attacher à dépeindre les situations extraordinaires de quotidien tout à fait banal, choisissant de confronter des personages toujours attachants à la dure réalité. C'est ainsi le cas dans Secret Sunshine, qui suit les méandres psychologiques d'une femme blessée, peu à peu brisée par la vie.


                   Secret Sunshine va glisser d'un genre à l'autre, nous menant toujours plus loin dans l'exploration des facettes complexes de la personnalité humaine. A la manière d'un Dante traversant les différents cercles des Enfers, le film fait passer l'héroïne à travers les différents "cercles" des drames de la vie du rejet au deuil, de la douleur à la recherche de la redemption, de la foi à la désillusion, lentement elle s'enfonce submergée par la vie.

                    Au départ le film s'apparente à une chronique sociale, Shin-Ae à la suite du décès de son mari quitte Séoul pour venir s'installer dans la petite ville natale de ce dernier, acompagnée de son fils Jun. Dès son arrivée elle tombe en panne et rencontre Jong-Chan, le garagiste de la petite ville, un brave gars, simple, quoique maladroit et un peu lourd qui tient absolument à aider la jeune femme pour qui il a craqué immédiatement. Le film décrit alors avec finesse et une grande acuité les petites difficultés du quotidien, tout d'abord c'est la difficile intégration de cette jeune femme extravagante et cultivée dans cette petite ville rurale, où est brossé un portrait très fin de cette micro société, de ce monde rural coréen peu connu de nous. Cette citadine originale provoque la suspicion et la moquerie des habitants qui ne comprennent pas pourquoi elle est venue s'enterrer ici. Mais finalement grâce à l'aide de Jong-Chan qui connait tout le monde et qui en pince toujours secretement pour elle, elle va réussir peu à peu à se faire accepter, à s'integrer. Ainsi les personnages commencent à se dévoiler, on découvre le combat de cette femme pour élever seule son gamin, pour s'intégrer dans cette petite société assez fermée et enfin pour surmonter la douleur de la perte de son mari. On découvre aussi peu à peu Jong Chan qui sous ses apparences d'homme respectable bien integré, connaissant tout le monde, passant son temps à téléphoner à ses connaissances et en réalité un pauvre type. C'est un homme seul, entretenant finalement des relations assez superficielles, c'est un célibataire endurci car maladroit avec les femmes et si tout le monde l'apprécie, tous se moquent un peu de lui qui commence a arriver à un âge ou il devient mal vu de ne pas être marié.


                       Le cadre est posé les personnages sont décrits dans cette première partie le drame peut alors véritablement commencer. On entre alors dans la partie thriller du film, comme on l'a vu, l'objectif de Shin-Ae, en venant dans ce village est de se retrouver avec son fils, de se reconstruire avec lui en démarrant une nouvelle vie. C'était d'ailleurs plutôt bien parti les deux commençaient à prendre leurs repères mais c'était sans compter l'implacable destin. En effet lorsqu'elle rentre un soir, Shin-Ae découvre que Jun a disparu, rapidement l'appel d'un malfaiteur lui apprend que son fils a été enlevé, qu'une rançon est exigée et bien évidement qu'elle ne doit prévenir personne. Le film devient alors haletant, éprouvant, le spectateur étant dans le doute comme la jeune femme, la caméra collant à son héroïne nous plongeant dans son mal-être, nous faisant partager sa panique, ses doutes, car comme elle nous sommes précipités dans le flou le plus total ignorant tout du kidnappeur et de ses motivations. Toujours très observateur le réalisateur s'attache à montrer l'indicible angoisse qui s'empare des gens dans cette situation surréaliste qui assomme, empêchant de raisonner, pousssant aveuglément à suivre les instructions. Le malaise se crée alors chez le spectateur qui ne peut que s'identifier à cette réactivité absurde mais tellement humaine. Enfin la remise de rançon arrive mais tout ne se passe pas bien, l'argent est récupéré mais Jun ne réapparait pas. Quelques minutes plus tard on découvre qu'à quelques mètres du lieu de la rançon l'enfant a été assassiné par le kidnappeur apparement desaxé...


                            A partir de là on entre dans le drame à proprement parler. Le réalisateur nous confronte à la douleur inconsolable de la perte d'un enfant, cette femme discrète, si naïve, si innocente se trouve plongé dans le desarroi le plus absolu. En effet quoi de plus terrible que de perdre un enfant, déjà que Shin-Ae avait perdu son mari voila que disparait son unique enfant, la raison de son déménagement, voire même sa raison de vivre. C'est avec un incroyable pudeur et une immense force que le film décrit ce drame. En particulier dans la scène de l'enterrement où la mère n'arrive pas à pleurer ce qui lui vaut le mépris de sa famille. En une scène le réalisateur réussit à condenser les émotions à nous faire sentir que le chagrin d'une mère est indéfinissable, incompréhensible, bref qu'il est à la hauteur du drame que constitue la mort d'un enfant. Ce passage m'a fait penser à un épisode de la géniale série Six Feet Under où il est rappelé que lorsqu'on perd son mari on est veuve (cas de notre héroïne), quand un enfant perd ses parents il est orphelin, mais lorsqu'un parent perd son enfant c'est tellement terrible qu'il n'y a pas de mot pour décire cette situation. Ce passage marque aussi le retour sur le devant de la scène de Jong-Chan toujours aussi maladroit, toujours aussi amoureux, il essaie toutefois sincérement de soutenir Shin-Ae, de l'aider à traverser cette épreuve, symbolisant l'impuissance des proches pour aider à surmonter la douleur. Le drame a eclaté, le temps du deuil est passé, maintenant il s'agit pour les personnages de recommencer à vivre mais les fêlures commencent à apparaitre révélant la fragilité des personnages.

                         Le drame existentialiste se dédouble alors assez rapidement avec une reflexion métaphysique sur la foi, la religion. Ce genre d'évenement dévoile le vide de l'existence, le manque de sens voire l'absurdite de la vie. En effet Shin-Ae va se tourner vers la religion pour surmonter sa douleur, pour donner un sens à sa vie et essayer de se reconstruire. Elle se tourne vers la religion protestante qui est bien implantée en Corée du Sud (2ème religion du pays). Entre mysticisme et fanatisme elle commence à réussir à extérioriser sa colère, d'ailleurs comme aux Etats Unis les protestants coréens prient de façon très explicite pleurant, hurlant, tapant du poing pour exprimer leur douleur et leur besoin de communion avec Dieu. Elle devient une croyante fervente, s'investissant à 100%, s'immergeant dans la foi pour oublier ses blessures, de mère inconsolable elle devient une adepte convaincue. Mais ce qui est innovant ici n'est pas l'idée de redemption, la rencontre avec Dieu est souvent présente dans le cinéma et la littérature, c'est souvent la quête, l'ultime aboutissement des personnages, cependant ici le réalisateur décide encore de brouiller les pistes, destabilisant son spectateur. En effet le film ne traite qu'un temps de la foi car à la suite d'une scène hallucinante (que je ne raconterai pas car c'est un spoiler et surtout parce qu'elle est tellement extraordinaire que je ne saurais la définir) Shin-Ae perd sa foi, cette croyance dans laquelle elle s'etait donnée tout entière disparait et alors réapparait le vide de son existence, la douleur de la perte, c'est le temps de la désillusion et peut être de la folie. Malgré toutes ses tentatives desesperées Shin-Ae reste écrasée par ce chagrin d'où la récupération dans le titre de l'article de cette phrase tragique de Camus dans la Peste qui fait dire à Rieux devant l'impossible tâche à laquelle il doit pourtant faire face cette terrible expression d'"interminable défaite".


                 Secret Sunshine est un drame sans pathos, sans éxagération, mais aussi sans complaisance, à la fois discret, pudique et bouleversant, emotionellement violent, de par cette tragédie ordinaire qu'il décrit. Il confirme le grand talent de son réalisateur sensible mais réaliste, capable de faire jaillir de véritables tragédies catharsissiques au milieu des quotidiens les plus triviaux, capable d'aborder des thèmes aussi riches que variés, bref capable simplement de filmer la vie dans tout ce qu'elle a d'imprévue et d'injuste. Mais le film n'aurait pas été ce qu'il est sans un duo d'acteurs extraordinaires, bluffants, émouvants, au sommet de leur art. Tout d'abord il y a l'incroyable Jeon Do-Yeon qui n'a vraiment pas volé son prix d'interprétation à Cannes, elle joue à merveille, avec naturel, sans fioritures, sur tous les styles complexes qu'imposaient la trame du film passant de l'insouciance à l'accablement. Pourtant elle avait un personnage difficile à la sensibilité exacerbée, aux réactions imprévisibles, se donnant à fond dans tout ce qu'elle fait, incapable de demi mesure. Mais l'actrice qui s'est vraiment investie est au final d'une justesse inouïe réussissant à faire passer une palette de sentiments hallucinants. Ensuite il y a Song Kang-Ho qui lui aussi est tout simplement excellentissime dans cet énième rôle de raté, il a ce don pour rendre ses personnages émouvants sans jamais être pathétiques, il réussit à les comprendre à la perfection leur donnant une incroyable humanité. Ici malgré le caractère mal dégrossi de son personnage, il réussit à être émouvant dans son rôle d'amoureux éconduit, spectateur impuissant du naufrage affectif de celle qu'il aime. En véritable anti-héros c'est son impuissance, sa faiblesse, son incapacité à trouver les mots qui touchent car enfin il est terriblement humain. Je l'ai déjà dit, mais je persiste et signe, cet acteur est défintivement pour moi le meilleur acteur coréen, d'ailleurs ici il reste toujours en retrait laissant exploser le talent de sa camarade il ne cherche pas à occuper l'écran pour montrer qu'il est le meilleur, bref il est génial.


                    Sublime portrait de femme, drame aux echos complexes et infinis, reflexion métaphysique sur Dieu et la foi, cette tragédie poignante s'ouvre sur un plan du ciel et se termine sur un plan du sol fixant une flaque de boue. Ainsi si Dante dans "La divine Comédie" sort des Enfers et "revoit les étoiles" , les personnages de Secret Sunshine eux, détournent les yeux du ciel se penchant vers la Terre pour trouver les réponses dans ce monde cruel mais néanmoins réel, c'est là toute la force de ce drame.

Nostalgic Du Cool

Publié dans Corée

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