« Rhapsodie en Août » : L'Empereur fait son testament :

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle cinema japonais


Voila Ichimonji ne fait pas exception et se frotte lui aussi à un géant asiatique à l'occasion du mois consacré au Japon.


 

 

 En 1991 sort l'avant dernier film de l'un des plus grands cinéastes du XXème siècle dont la filmographie, forte de 31 films, a influencé des centaines de réalisateurs par la suite, Akira Kurosawa, « l'Empereur », qui avec « Rhapsodie en Août » signe en quelque sorte son testament, son dernier message à l'Humanité et plus particulièrement au Japon, avant de se préparer à la vieillesse puis à la mort dans ce qui sera son dernier film méditation : « Madadayo ».


 Pour Kurosawa, ce film est le premier film japonais depuis longtemps, car depuis l'échec cuisant tant public que critique lors de la sortie de « Dode'skaden » en 1975, le grand studio TOHO ne veut plus le produire, et il va alors faire une tentative de suicide. Il va chercher ensuite des producteurs partout dans le monde comme les studio Mosfilm en Russie pour « Dersou Ouzala », George Lucas et Francis Ford Coppola pour « Kagemusha : L'ombre du guerrier », Serge Silberman pour « Ran » ou encore Steven Spielberg pour « Rêves ».


 Puis en 1990, la Toho contacte Kurosawa dans le but de réaliser un film de son choix avec un budget cependant pré-défini. Ce dernier présente son scénario et réalise le film dans un délai extrêmement rapide de deux semaines, avec dans les rôles titres la grande actrice japonaise Sachiko Murase, et l'acteur américain Richard Gere que Kurosawa rencontra lors de la promotion au Japon de « Pretty Woman ».

 L'histoire est assez simple : pendant les vacances d'été, près de la ville de Nagasaki au Japon,  la grand-mère Kane (Sachiko Murase) garde ses petits enfants et reçoit une lettre d'un vieil homme nommé Suzujiro, japonais naturalisé américain et immigré à Hawaï, qui affirme être son frère et qui désire la revoir avant de mourir, celui-ci étant gravement malade. Kane, vieille femme issue d'une famille de onze enfants ne se souvient pas de ce Suzujiro et envoie son fils et sa fille à Hawaï voir Suzujiro dans sa grande plantation d'ananas (celui-ci ayant fait fortune) afin de déterminer si oui ou non il est bien son frère. De plus, Kane ne veut pas partir avant la date du 9 août, jour où est tombée la bombe atomique sur Nagasaki qui a emporté son mari en 1945...

 

 Drame social et humain, portrait du Japon de la fin du XXéme siècle sur trois générations, « Rhapsodie en Août » bouleverse par son innocence et en même temps sa gravité, par l'harmonie qui se dégage à travers cette histoire de réconciliation familiale et en même par cette peur souterraine du chaos qui hante chaque personnage, par sa simplicité même et par sa grande complexité...bref c'est un film plein de paradoxes, tout en nuances sur lesquelles joue brillamment Kurosawa avec sagesse, finesse et intelligence, mais également avec beaucoup d'audace, audace qui est cependant rendue voilée par la simplicité et l'élégance de l'ensemble.

 Kurosawa n'est pas un humaniste pour rien. Il se plait à regarder les hommes essayer de se démêler dans leur bêtise, essayer de se grandir, de se sortir d'une gigantesque toile d'araignée dans laquelle ils sont inextricablement pris. Il se plait à mettre sous nos yeux nos ambiguïtés, notre bêtise et notre vanité. Chez lui finalement, l'homme n'est qu'une petite créature stupide et banale, rêvant de choses absurdes, ayant la prétention de vouloir comprendre et contrôler des éléments qui le dépassent de loin. Il montre l'harmonie protectrice et bienveillante de la Nature, et le chaos absolu introduit par l'Homme, être complètement dénaturé, déshumanisé, qui a complètement perdu de vu ce qu'il était, d'où il venait, et où il va. Cependant, le grand talent de Kurosawa est de traiter ces notions sans aucune prétention, sans aucune volonté moralisatrice, seulement avec humilité et intelligence, ce qu'il a une fois de plus accompli avec « Rhapsodie en Août ».


 En effet, le film prend pour socle l'un des faits les plus marquants de l'Histoire, à savoir l'utilisation de la bombe nucléaire en 1945 au Japon, sur les villes d'Hiroshima et de Nagasaki, véritables monuments de la barbarie humaine et du pouvoir destructeur de l'homme dans l'une de ses formes la plus absolue. Cependant, son action s'insère dans notre époque contemporaine, dans le présent de l'année 1991, période de fin de XXème siècle. Kurosawa fait le portrait du Japon sur trois générations différentes, à savoir celle de l'époque du Japon traditionnel, de l'Empire d'avant guerre à travers le personnage de la grand-mère Kane, témoin vivante de l'horreur, et de son actrice Sachiko Murase (qui a joué dans des classiques de Mizoguchi ou Naruse par exemple), celle du Japon qui bascule peu à peu dans une société ultra capitaliste où le travail et l'économie sont érigés au rang de véritable cultes, à travers les personnages des parents, dont les faits de 1945 sont véritablement tabous, puis dans celle des enfants, jeunes japonais abreuvés de culture américaine, baignés dans un monde riche, complexe, celui de la mondialisation, et où la technologie est omniprésente, mais qui sont totalement étrangers du passé de leur pays. Il est vrai que ce portrait est intéressant puisque Kurosawa est un homme qui a vécu durant tout le XXème siècle, et a donc été témoin des basculements, des changements de son pays, du grand empire traditionnel à la société capitaliste, jusqu'au désoeuvrement de la jeunesse japonaise qui rejette l'héritage de ses parents.

 Il pose donc un regard d'une grande acuité sur ses personnages, écrits à la perfection, pour les faire se rencontrer, se confronter eux et leurs époques respectives, pour mieux dévoiler son message.


 En effet, on trouve un premier contraste saisissant entre la grand-mère et ses petits enfants. La première est une femme simple, paysanne qui a passé toute sa vie dans sa région natale et qui cultive son jardin, vêtue d'un habit traditionnel. Elle a perdu son mari en 1945 lors de l'explosion nucléaire de Nagasaki et a été témoin de l'horreur. Les autres sont des jeunes gens qui ont vécu à Tokyo, au milieu de l'agitation, de la technologie avec la télévision, les jeux vidéo, et qui portent des vêtements occidentaux avec des slogans américains. Ils sont totalement étrangers aux évènements de 1945, et ont vécu une existence faite de privilèges, d'avantages mais ne connaissent finalement rien de la vie, du monde, de l'Histoire, de leur famille, donc, et même avant tout, d'eux-mêmes. Et ce que dit donc Kurosawa est très beau. Ce qu'il dit à ces jeunes et au Japon c'est que s'ils veulent exister, devenir des hommes et des femmes à part entière dans un monde en constant changement, qui évolue à une vitesse folle, alors ils se doivent de connaître leurs racines, leur passé. Ils se doivent de ne rien ignorer quant à leur provenance et au monde dans lequel ils atterrissent, donc être au fait quant à la nature de l'homme, dans ses aspirations les plus bénéfiques et les plus destructrices, afin de ne surtout pas oublier les horreurs passées et de ne surtout pas refaire ces même erreurs par le futur. Et c'est d'ailleurs là que se joue toute la progression des personnages dans le film, aussi bien les enfants que leurs parents, qui lèvent chacun le voile sur le passé, et renouent avec la grand-mère, qui atteint un statut quasi-symbolique, celui de l'ancien monde, témoin de la guerre, témoin d'une époque en train de disparaître et qui va sombrer peu à peu dans l'oubli...D'où le devoir de mémoire que fait Kurosawa dans le film lorsque les enfants visitent les différents monuments faits par le monde en offrande aux évènements de 1945, et lorsqu'il filme les rescapés de l'incident nucléaire, alors de jeunes enfants à l'époque, qui se réunissent dans l'école où ils étaient alors, et qui entretiennent la seule chose qui a résisté à l'explosion, un petit jeu pour enfant, totalement cassé, brisé et rouillé, que caressent les rescapés, aveuglés par le champignon atomique, chauves du fait des radiations, malades, blessés et désormais vieux et sur le point de mourir...Et à l'un des enfants de dire « Ils me font peur » et à un autre de répondre, « Parce qu'ils ont vu la chose la plus terrifiante au monde ».

 

 Enfin, Kurosawa a l'intelligence de ne blâmer personne, et d'offrir un regard le plus neutre qui soit, notamment à travers le personnage de la grand-mère lorsque celle-ci dit que ce qui s'est produit n'est la faute ni des Américains, ni des Japonais, ni de quiconque, mais plutôt celle de la guerre, qui pousse à gagner, et ce par tous les moyens possibles. Ainsi, le désir de Kurosawa est d'apaiser les tensions, les rancoeurs, que ce soit entre les générations qu'entre les peuples, et c'est là que le personnage de Richard Gere, Clark, intervient. En effet, Clark est le fils de Suzujiro, naturalisé américain, et d'une américaine. Ce dernier est père, marié à une jeune femme américaine et a des enfants. Lorsqu'il apprend par un télégramme envoyé par les petits enfants, que son oncle, le mari de Kane, est mort de la bombe, il part tout de suite pour le Japon. Les parents, qui avaient voulu caché cela à Clark et pour qui la bombe est un évènement tabou, craignent que celui-ci veuille désormais couper toutes relations étant donné qu'il est américain, mais lorsque celui-ci arrive au Japon, et que les parents lui demandent s'il veut aller quelque part, Clark leur dit qu'il veut à tout prix se recueillir sur l'endroit où son oncle est mort.

C'est alors à l'école devant le jeu des enfants que Clark, les parents et les petits enfants, se retrouvent et regardent les survivants en train de commémorer l'évènement, et à Clark de dire alors « En les regardant, je comprend le Nagasaki de ce jour là ». Le film se veut donc une lente réconciliation, une lente reconstruction familiale, une digestion voir même une exorcisation de cet évènement, pour mieux se retrouver, se réunir et s'aimer.…

 Après la colère et la condamnation de l'Humanité qu'il lance dans « Ran », il ne reste à Kurosawa que de la compassion vis-à-vis de l'homme...… 

 

 

 

 Ichimonji 

Publié dans Japon

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