L'anguille, thérapie réciproque de deux désirs mal assouvis.
Languille, Shohei Imamura, 1997, palme dor à Cannes la même année.
Inspiré du livre « Yami Ni Hirameku » de Akira Yoshimura.
Avec : Koji Yakusho (Babel, mémoires dune Geisha), Misa Shimizu (De leau tiède sous un pont rouge, Dr Akagi), Mitsuko Baisho (Dreams, Kagemusha, la vengeance est à moi, ), Akira Emoto (Zatoichi, Dr Akagi), Fujito Tsuneta, Sho Aikawa (Gozu, DOA 1, 2 et 3)
Les palmes dor asiatiques sont bien rares, la plupart (la totalité ? Non, « Adieu ma concubine » est chinois !) sont japonaise. Sur ce blog est déjà critiqué « La Balade de Narayama », du même réalisateur, à savoir Imamura, immense bonhomme du cinéma mondial, qui a travaillé pour Ozu (entre autre !) et qui a formé la génération des Miike et Tsukamoto.
Encore une fois chez Imamura, cest un film simple et qui parle dune population plutôt défavorisée, et au moins ici, enclavée. Au début du film lun des habitant fait un calembour japonais en comparant le nom de la province (Sawara) à celui du désert (Sahara). Blague que lon ne comprend pas bien au début puisque tout est verdoyant et fleuri, mais dont on saisit le sens une fois que lon a vu le nombre dhabitant du coin Chose qui mine de rien nest pas rare au Japon, quoiquon puisse en penser en voyant la densité et les images de la mégapole Tokyoïde. Toujours est il que le film, dont je célèbre les 10 ans de « palmitude » tout en souhaitant rendre tardivement- hommage au réalisateur qui nous a quitté il y a un peu plus dun an aujourdhui (30/05/2006), raconte lhistoire de la réintégration dun homme dans la vie.
Mr Yamashita a en effet tué sa femme qui le trompait pendant quil allait à la pêche. Suite à une lettre anonyme, il rentre plus tôt que prévu et vérifie à ses dépend la véracité des accusations portées. Ah oui, tant quon y est, je vous préviens tout de suite de labsence totale de spoilers ici, puisque le film ne cherche pas vraiment à développer un suspense, même sil y a une histoire et une évolution, voire des rebondissement - Lorsquil trouve les deux amants au lit, en train de faire lamour bruyamment, il range posément ses affaires de pêche, saisit un couteau, rentre sans faire de bruit dans la chambre et donne un coup à lhomme de dos (dont on ne voit jamais le visage dailleurs), puis reste droit face à sa femme, qui le regarde dun air un peu ébahit. Il semble réfléchir quelques instants, puis poignarde sa femme à de nombreuses reprises. Il enfourche ensuite son vélo, maculé de sang sur la moitié du corps, et va se rendre à la police en sifflotant.
Comportement un peu surréaliste, que lon retrouve à la scène suivante, huit ans plus tard, lors de sa libération. Le détenu Yamashita marche au pas dans les couloirs, salue tous les gardiens respectueusement et se conduit avec déférence envers le directeur de la prison qui lui explique les quelques règles de la liberté conditionnelle. Ça nous change des scènes de prison américaines plus que désordonnées. Le détenu conditionnellement libéré repart donc avec son agent de probation, le moine Nakajima. Il commence à réapprendre avec lui la vie courante : Ne plus marcher au pas, ne plus marcher derrière la personne à qui lon parle, etc
Il récupère un petit pécule que lui avait laissé sa mère, et pense ouvrir un salon de coiffure, puisquil a appris ce métier en prison. En parlant de prison Jaurais pu vous révéler lorigine du titre plus tôt, mais bon Il a en effet élever une anguille en prison durant tout son « séjour ». Animal quil na pas manqué demporter à sa sortie. Voila. On apprend lors dune discussion entre le bonze et sa femme que Yamashita ne semble pas nourrir de remord par rapport à sa femme. Cela ne lempêche pas de racheter un salon de coiffure désaffecté, sur une route déserte, au milieu de nulle part, pas très loin de lentrepôt dun charpentier du nom de Takasaki que le bonze connaît bien. Il se lie assez vite avec Yamashita quil emmène pécher avec lui. Languille notamment, ce à quoi ne peut se résoudre le brave homme qui aime trop la sienne pour pouvoir faire souffrir ses congénères. Un jour, en allant chercher de la nourriture pour la sienne, il découvre une jeune femme endormie après avoir avalé toute une boite de somnifère. Il se dépêche daller chercher de laide et des témoins, se rappelant les mises en garde du directeur de la prison, lenjoignant à ne jamais se mêler à de situations anormales.
La jeune femme sauvée, elle est hébergée chez le bonze et sa femme, le temps de sa convalescence. Mais très vite elle exprime le désir de rester dans ce coin un peu perdu et de travailler chez Yamashita, son sauveur. Celui-ci accepte, on ne sait pas très bien pourquoi, peut être à cause de la ressemblance entre cette femme et sa femme, dont le corps ensanglanté lui est apparue en voyant Keiko (car cest la son nom) étendue inerte sur le sol
Petit à petit une amitié se développe entre les deux être, qui reprennent goût à la vie en sentre aidant et en sintégrant au petit groupe dhabitant folklorique qui passe régulièrement. Il y a le chercheur dextra terrestre, le charpentier pêcheur, linactif à la décapotable pas chère, le bonze et sa femme. La vie est belle, tout semble aller de mieux en mieux, les clients affluent et la rumeur commence à circuler. Même si Keiko vit et dort toujours chez le prêtre, on lui prête une liaison avec le coiffeur. Celui-ci semble sen moquer, tout comme la jeune femme, qui nourrit pourtant un début damour envers son employeur qui lignore complètement Tout cela se fendille lorsque la coiffeuse modèle appelle les éboueurs afin de nettoyer les ordures qui étaient entreposées dans larrière cour. Lun deux est un ancien co-détenu de Yamashita qui lui reproche de ne pas se repentir de son crime. Le coiffeur craint alors que celui-ci ne révèle son origine et son meurtre aux yeux de tous et notamment de Keiko. Ce que ne se prive pas de faire Tamotsu (léboueur repris de justice) lorsquil surprend Keiko en train de vomir un soir sur le chemin du salon de coiffure. Il interprète tout de suite cela comme une grossesse (il ne se trompe pas pour une fois) et tente de la violer.
Quelques temps plus tard il passe chez son ancien camarade pour coller sur sa devanture un sutra et un « tueur de femme », censé laider sur la voie de la rémission. Le soir suivant il vient voir leffet produit, et ne trouve rien de bon. Suite à ses provocations il se bat avec Yamashita, et cela finit par un bain forcé, après quoi il déclare, analysant le meurtre du coiffeur « Tu crois quy a pas pire défaut que la jalousie, tu te trompes, la jalousie cest naturel. Ta seule faute dans cette histoire, cest davoir était humain ». La grossesse de Keiko est confirmée, et son passé la rattrape en même temps que Yamashita. Son ex-mari vient en effet lui rendre une petite visite, afin de récupérer largent de sa belle mère, dont il a grand besoin, la crise financière sévissant. Par divers flash-back on en apprend plus sur la situation : la mère de Keiko est folle, elle se prend la plupart du temps pour Carmen et balbutie des mots despagnol en dansant le flamenco. Cest cet environnement que la jeune femme a tenté de fuir en se suicidant, alors quelle était enceinte Suite à lintrusion de son mari, elle repart à Tokyo récupérer largent de sa mère, pour quon ne le lui vole pas. Dojima, le mari volé, débarque alors dans la petite localité et assaille le coiffeur et ses amis, afin quil force Keiko a restituer le livret. Juste à ce moment la, elle est en train de le confier aux bons soins du moine. Apprenant les difficultés de Yamashita, elle fonce chez lui avec le bonze et sa femme, qui interviennent en pleine dispute, malgré la présence dun policier, qui seul ne peut rien face aux gardes du corps du financier et à la hargne des amis du coiffeur. Elle arrive enfin et calme la situation en invitant son mari au commissariat, puis en lassommant avec la nouvelle de sa grossesse (elle lui cache quil est le père et fait croire quil sagit du coiffeur qui rentre dans son jeu, dévoilant sans doute par la ses sentiments) et à coup de bâton (elle brise dailleurs par accident laquarium de languille).
A cause de cette rixe, Yamashita doit retourner pour un an en prison, après avoir demandé à Keiko de lattendre avec le bébé, qui comme celui des anguilles na pas de père connu et a fait un long voyage pour arriver à destination Lui-même accomplit le voyage de languille japonaise, qui fait un voyage pour frayer, puis revient vivre dans les eaux douce, tranquille, dans la boue. Le film se clôt par une fête en lhonneur de la grossesse de Keiko, lors de laquelle Yamashita relâche son anguille, puis, juste avant de devoir aller en prison, accepte le casse croûte de keiko,quil avait toujours symboliquement refusé, comme signe de non compromissions avec une femme. Enfin, la voiture part avec le détenu, et Keiko discute avec lhomme qui attend les extraterrestres. Tout deux, dans leurs paroles, montre une belle confiance en lavenir et un fier optimisme au travers dimages symbolique. (Lun la discussion sur le retour des anguilles, et lautre sur la confiance en la venue des E.T.)
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Et voila un résumé que lon peut qualifier de court et de synthétique Je vais néanmoins continuer un peu à déblatérer. Le sujet du film, au-delà de la réintégration des prisonniers dans la société (et pour Yamashita dans la vie tout court), est le désir, refoulé ou pas et tout ce quil peut engendrer. Désir, jalousie, deux sentiments intimement liés dès le début. Désir de sa femme, mais jalousie de lamant, ou tout simplement de sa compagne si lon retient lhypothèse selon laquelle il ny a pas vraiment damant ni de lettre dénonciatrice, mais simplement un désir sexuel frustré, une jalousie maladive à légard de sa femme, objet désiré mais pas contenté, donc désir non assouvit, remplit, dépassé. Sa maladresse sexuelle et sa timidité étant évoqué moqueusement par Tamotsu Takasaki, qui est un petit peu le révélateur de Yamashita dans le film. Cette vision du film que je suis en train dévoquer est assez psychologique et vient sajouter à celle, plus sociale, sociétale que lon peut noter dans le résumé. Elle est le prisme individuel à partir duquel on peut faire rayonner une description plus générale de la société japonaise telle que la verrai Imamura. Pour en revenir à ce cher Yamashita, on peut voir la continuation de son « problème » lors de la scène où le charpentier lui apprend à pécher languille avec un Harpon, chasse virile, violente, dont linstrument ne peut être quinterpréter phalliquement. Il est lancé vers languille (féminine) et la transperce littéralement.
Voyant que ce moyen ne convient pas du tout au coiffeur, le charpentier change de méthode et utilise un ustensile qui évoque au contraire un sexe féminin, il sagit en effet dun long tuyau au fond duquel languille vient se piéger pendant la nuit Moyen bien plus doux qui ne blesse pas le poisson, qui joue la un rôle symboliquement masculin. A ce moment du film, c'est-à-dire peu de temps après la sortie de prison et avant quune véritable relation sinstalle entre Keiko et Yamashita, cette scène sert à montrer que lex-détenu ne sest pas encore débarrassé de ses démons. Cela sera confirmé par le fait quà chaque retour de pêche il ignore superbement les présents amoureux ou aux moins attentionnés de Keiko, signifiant par la quil est encore incapable de se lier dune quelconque manière avec une femme, ne serait ce que sur le plan culinaire (mais la nourriture nest elle pas parfois utilisé comme révélateur de la sexualité, comme aphrodisiaque, ou dans les métaphores amoureuses ?).
La nourriture dailleurs pourrait servir à suivre lévolution des relations entre le coiffeur et son aide « shampouineuse ». Elle lui prépare des petits plats, etc., il refuse encore souvent au début, fait lui-même sa vaisselle, etc (Fait aussi sa cuisine seul quand elle part pour récupérer largent de sa mère, je mavance mais on pourrait peut être dire que les repas et la nourriture sont un révélateur intéressant sur leur sentiments respectifs ). Ce nest quavec le temps, lintervention de Takasaki (lex-prisonnier éboueur) et de longues discussion avec son anguille quil arrivera à dépasser et à vaincre ses peurs. Il remettra ainsi son poisson à leau, et sy jettera avec lui, acceptant son retour en prison, voyant sa « nécessité », pour mieux retourner auprès de sa femme et de leur enfant, fruit de lamour dun autre, mais accepté et revendiqué comme celui du sien par Yamashita. Comme languille il part vers son voyage initiatique, vers léquateur, afin de revenir vers les fonds boueux, son trou perdu, mais heureux et avec un enfant
Languille (Unagi en VO, il parait que ça fait mieux de toujours mettre le titre non traduit !) est un film qui ondule (pas comme la tôle, comme le poisson !) entre social et psychologique, ne choisissant pas vraiment son camps, ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse, puisquil arrive à traiter deux aspects complémentaires à la fois, mais pas vraiment à fond. Il décrit la vie simple de ces gens, qui touchent sans doute au vrai bonheur dans leur petite communauté, qui se regroupe et sentre aide dès quun élément extérieur menaçant apparaît (Dojima pour ne pas le citer). Ceux qui par contre font preuve de bonne volonté sont parfaitement intégrés et peuvent ainsi, grâce à cette « thérapie », soigner leurs âmes.
Imamura comme à son habitude nuse pas de grands effets, de sentiments grandiloquents ou dimages chocs, même sil filme quelques scène érotiques, à sa manière bien sur, c'est-à-dire comme nimporte quel acte de la vie, et désacralise un peu ce moment quon trop lhabitude de voir « spécialement » dans nos films. Il met en scènes de fleurs, des arbres, un fleuve aussi bien que ses acteurs, qui sont de très grands artistes du cinéma nippon, comme auront pu le remarquer ceux qui ont lu leur filmographie sélective Et sous la férule (la férule, et je dirais même plus le commandement, la direction, le glaive, le clap vigoureux) dImamura, ils donnent la pleine mesure de leur talent en nous servant une prestation remarquable de justesse et de sobriété. Deux qualités bien japonaises me direz vous, certes, mais ne tombons pas dans les préjugés !
Pour quelquun qui vient de voir la très roumaine palme dor 2007, je peux vous dire que voir les fleurettes mauves et lempathie qui se dégage de celle de 1997 fait du bien et redonne un peu de légitimité à cette récompense. Ici pas davortement glauque, la femme garde son enfant, lhomme va en prison avec joie et sous le soleil. La fin est bucolique, une barque, avance paisiblement sur le fleuve, le générique défile sur un fond musical gai. (Pas de Freddy Mercury, juste joyeux). Je le conseille donc vivement à tous les cinéphiles et gens aimant ce genre de film, qui ne se prend pas trop la tête, ne dramatise pas tout, mais traite avec profondeur et une gravité joyeuse, souriante, les problèmes de la vie.
Analyse bien plus détaillée ici.
Carcharoth