Hitokiri, un assassin dans l'histoire, un homme face à l'histoire par Hideo Gosha.

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

 

Hitokiri (Tenchu), Hideo Gosha, 1972, Japon.


Et voila que trois ans après avoir été publié lors du cycle Cinéma Japonais, cet article revit dans l'Hommage à Wildgrounds...



  Hitokiri, le film maudit d'Hideo Gosha, indisponible depuis 40 ans ressort enfin en DVD grâce à la Wild Side. Condamné dès sa sortie par le suicide d'un de ses acteurs principaux, YukioMishima , qui se fit Harakiri. Les commentateurs de l'époque virent dans la scène du film ou il faisait la même chose une répétition de la morbide volonté de l'écrivain. Internationalement reconnu, on le savait par ailleurs fervent défenseur des valeurs traditionnelles des samouraïs. Le temps est passé, les peurs ont disparues, le talent est resté. Réalisé juste après Goyokin, Hitokiri parle lui aussi de la fin des samouraïs, mais d'une façon plus violente et sombre, plus terrible, plus tragique. Le bakumatsu, ou passage de l'ère Tokugawa à Meiji doit en effet être le moment de l'histoire le plus utilisé dans le cinéma nippon. Rien qu'en parcourant les films dont nous parlons à travers de ce cycle japonais, vous pouvez vous en rendre compte.

  Hitokiri raconte l'histoire d'Izo Okada, samouraï errant recruté par un groupe de loyalistes ("fidèles" de l'empereur militants pour sa restauration) pour accomplir leurs basses œuvres. Par ailleurs, il continue de fréquenter un de ses amis d'enfance, partisan lui d'une réforme, et que le clan d'Izo considère comme un traître. Il vit à coté de ses assassinats une histoire d'amour avec une prostituée, tout en rêvant encore d'une fille de noble dont il est fou, mais qui le déteste. Un jour, il se rend compte que son maître s'est servit de lui et l'a jeté après avoir ruiné sa réputation en lui faisant tuer un nombre impressionnant de personnalité. Il se rebelle donc, et se venge à sa façon...

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  Hitokiri en japonais signifie "assassin". Tenchu, le sous titre veut dire "punition divine". Cette interjection est très souvent utilisée par les assassins du clan d'Izo lorsqu'ils éliminent un rival politique. Hitokiri en fait désigne plus précisément à cette période quatre individus, assassins bien sur, férocement anti-shogunaux que l'on jugeait imbattables en combat régulier. Okada Izo était l'un d'eux. Le film s'appuie d'ailleurs très fortement sur l'histoire et met en scène des personnages très important. Ryoma Sakamoto par exemple fut l'instigateur malheureux d'un gouvernement modéré sous l'égide d'un empereur aux pouvoirs restaurés, qui fut abattu par l'alliance Choshu-Satsuma à laquelle il avait lui même participer pour contrebalancer les extrémistes pro-shogunaux. Les évènements auxquels le film fait allusions sont eux aussi véridiques, et les rebondissements de l'histoire n'en sont que les conséquences.


  Aussi je trouve intéressant de rappeler quelques brèves petites choses pour que tout le monde puisse comprendre une grande partie du film, puisque rien n'y est expliqué.

Le film débute en 1862, soit deux ans après le début "officiel" de l'opposition des grands seigneurs féodaux à la modernisation du pays par le shogunat. En 1860, certains clans entreprennent des actions violentes contre les occidentaux implantés au Japon. En 1862, après qu'une flotte anglaise ait était bombardée par les châteaux du clan Choshu, l'empereur convoque (fait très rare) le shogun. Parallèlement, sentant venir la fin du shogunat et voyant la faiblesse du pouvoir en place, de jeunes samouraïs des clans Satsuma, Chosu et Tosa émigrent à la cour de Kyoto (le pouvoir shogunal siège à Edo, l'empereur à Kyoto) et y fondent des factions anti shogunales. A la fin de l'année 1863, les hommes de clan Choshu sont chassés de la ville, et une guerre entre le pouvoir d'Edo et ce fief s'engage. C'est la fin d'une ère de paix de 250 ans, et la première défaite des Tokugawa. Dès lors, le shogunat n'a plus que quelques mois à vivre, les historiens-propagansistes pro-impériaux se chargent de détruire son image et sa légitimité, tandis que les derniers fidèles du régime sont battus à plate couture lors des batailles. Ce sont finalement les radicaux qui l'emportent face aux modérés qui souhaitaient une cohabitation entre les daimyo et l'empereur


 Ce que montre de plus près le film, ce sont les agissements des radicaux, et les luttes internes du mouvement anti-shogunal, qui rassemblent tous les opportunistes des clans cités plus haut ainsi que quelques idéalistes. Au milieu, il y a Izo. En plus de se situer dans la période la plus compliquée de l'histoire du Japon (la plus utilisée aussi, donc qu'on peut bien appréhender via le cinéma), Hitokiri nous immerge dans un groupe loyaliste très borderline, avec un chef qui a ses propres méthodes et ses propres buts, que servent sans trop poser de question ses samouraïs. Rien de simple donc. Les enjeux sont nationaux, les personnages de grande ampleur mais on reste toujours à des conflits assez bas, jamais de gros coup, d'affaire d'état. la petite histoire pour illustrer la grande en somme.
 De plus, l'histoire n'est pas si importante que ça dans ce film. Ce n'est pas Les derniers samouraïs de Misumi. *Pour rebondir sur un débat lancé par Loky, et pour faire plaisir à Wildgrounds, je vais me lancer dans le débat concernant l'importance de la connaissance de l'histoire pour apprécier certains (tous ?) films* L'histoire n'est jamais dans les oeuvres de génie primordiale. Si pour apprécier un film il faut avoir fait une thèse sur la période en question, le cinéma ne sert à rien. Un film de génie est ancré dans la réalité, dans l'actualité, dans son temps, mais il fait aussi et surtout dans notre cas, appel à des notions universelles, un langage universel qui est dans le cadre du septième art la mise en scène. Le génie parle à son temps, mais reste beau et fort pour la postérité. Un film génial n'a pas besoin de dates pour être apprécié et bien compris. Un film génial ne parle jamais que d'homme à travers l'histoire, il parle à celui qui le voit, il parle toujours au présent, il ne date jamais. Un film dont la mise en scène, l'histoire et le message ne sont destinés qu'à certaines personnes d'une certaine époque n'est pas destiné à durer et à plaire à beaucoup, par définition. Il plaira à des puristes, à des critiques bien renseignés, à des historiens, pas aux cinéphiles. Aussi je pense que si l'histoire et sa connaissance peuvent éclairer un film, lui ajouter un niveau de lecture ou faire briller en société, elle ne devrait pas être indispensable pour aimer et comprendre un film et ses enjeux. Celui ci doit les contenir, de façon formelle ou explicite, il doit donner envie pourquoi pas au spectateur d'en apprendre plus, d'approfondir le sujet, mais pas nécessiter d'avoir une clé pour ouvrir le fabuleux trésor qu'il contient. A-t-on besoin de connaître le chronologie de la seconde guerre mondiale pour pleurer devant Nuit et brouillard ? Faut il tout savoir de l'occupation de la Mandchourie pour s'émouvoir et se révolter avec le héros de la Condition humaine ? Doit on avoir lu toute la Cambridge history pour admirer Henry V de Shakespeare ? Je dis non. L'art et l'histoire, s'ils ont des atomes crochus, ne sont pas indissociables. Une certaine vision de la science historique est même incompatible avec l'Art.


Maintenant que j'ai déjà trop gloser, passons à l'essentiel :
Hitokiri est construit autour d'un cri "Tenchu !", symbole d'une révolte, celle d'un homme, Izo ; lui même image d'une époque en pleine mutation. Si le film de Misumi ( Les derniers samouraïs) était clairement coupé en deux pour évoquer la nette coupure de la restauration Meiji; c'est ici Izo qui est coupé en deux par le film pour expliquer l'histoire des samouraïs et de leur éthique. Izo est un jeune samouraï désoeuvré et désargenté. Dans l'idée de Gosha, c'est un Ronîn, un homme sur la vague littéralement. L'image de la houle est en effet présente au début du film, lorsque justement Izo quitte cet état pour se mettre au service actif de Hampei, après avoir tenté de bazarder son armure, symbole de son appartenance à la classe des guerriers. Poussé par ses créanciers et son envie d'en découdre, il va suivre ce maître pour se faire un nom à Kyoto. Nombreux sont les jeunes guerriers des clans Tosa, Choshu et Satsuma à tenter cette aventure. De part son talent au sabre et ses nombreux meurtres, il va vite se faire remarquer. Hampei l'ambitieux ne sait pas qu'il a lâche dans les rues de Kyoto un homme qui ne contrôle pas vraiment sa lame. Très vite, les meurtres éclaboussent le clan Tosa, Izo est rappelle à l'ordre, mais ne supportant pas d'être mis à l'écart il participe à toutes les batailles, hurlant son nom et tranchant dans le vif. Ce qui devait être une opération discrète devient un sujet de discussion du lendemain à la taverne. Les enquêteurs chargés des différentes affaires sont tués, ainsi que divers alliés qui n'entraient plus dans le plan d'Hampei. Izo se rend alors compte qu'il ne sert pas son pays et l'empereur mais un seul homme, son maître, pour qui il n'est qu'un chien. Son orgueil et sa morgue l’avaient jusqu'à présent aveuglé quant à sa véritable condition, mais une brève période de lucidité lui fait voir la vérité, qu'il crache à la figure de Hampei. Malheureux comme un chien, rejeté partout, croulant à nouveau sous les dettes il consent à rentrer à nouveau au service de l'opportuniste, qui le charge d'étranges missions, contraires aux intérêts du clan (provoquer le suicide du meilleur guerrier d'un clan allié par exemple).


Il sera ensuite complètement abandonné et même enfoncé plus bas que terre par son chef révéré, qui le laissera croupir en prison. La suite, ceux qui ont vu Izo de Miike la connaissent : il dénoncera les crimes qu'il a commis pour sauver la prostituée qu'il aime de sa condition, et sera crucifier pour ses crimes.

Malgré la violence de dénonciation des actes des samouraïs, Gosha garde un regard humain et tendre envers ce héros arriviste, au torse bombé mais sincère et bien trop naïf pour être méchant. Il se montre par contre sans compassion pour Hampei, profiteur corrompu par l'avarice et la quête de pouvoir, bien loin de l'idéal du samouraï. Il symbolise la décadence de cette classe, de toutes façon destinée à disparaître comme l'explique Sakamoto à Izo. En parlant des valeurs du Bushido et de ces deux la, Ryoma est un peu l'alter ego d'Izo, son seul véritable ami, d'un autre bord politique que lui car plus lucide et intelligent, mais compréhensif et aimé en retour par la brute sympathique qui le défend toujours auprès de ses camarades qui l'insulte et le juge "traître". Ils représentent dans les oppositions classiques de valeurs japonaises le couple Giri-ninjo, autrement dit le devoir face à la faute, la droite voie face à l'erreur. Sakamoto a compris ce qui attendait les partisans de la violence et souhaite une issue pacifique et sans bain de sang au conflit, qui permette au pays de se redresser rapidement et de se défendre face aux "barbares" blancs alors qu'Izo sert aveuglement un arriviste qui ne rêve que d'accéder au pouvoir, quitte à plonger sa propre faction dans l'anarchie.

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  La déchéance du sabre est ici filmé bien plus sauvagement et directement que dans Goyokin, où on ne la percevait qu'indirectement. Ici quelques symboles plus forts viennent émailler le film et rendre la fin des samouraïs plus tragiques. Un exemple, avec une comparaison qui m'a sauté aux yeux. Lors de son procès, il dénonce tous les crimes que lui a fait commettre Hampei Takechi. Il a les cheveux coupés, et à la fin de sa longue énumération, jette son sabre en l'air. A ce moment, son arme ressemble furieusement à l'os de 2001 l'Odyssée de l'espace (réalisé un an auparavant). Et en effet, lorsque le katana heurte le sol, une époque est passée, nous sommes dans un nouveau monde (une nouvelle époque). Peut être pas aussi lointain que celui de Kubrick, mais bien différent tout de même. Izo est redevenu humble, il a accepté sa condition et surtout de payer pour ses crimes. Comme au début, une autre scène clé près de la mer. Izo va même sur la mer, reprenant ainsi son statut de samouraï sans maitre, il retrouve sa liberté avec la mort, tandis qu'il offre la sienne de liberté) à Omino, la prostituée pour dette, en lui versant la prime pour dénonciation. Lui qui a été rien puis chien, le voila libre et partageur, même par délà la mort. Comme quoi, même au milieu d'une époque troublée et sans pitié, l'espoir demeure.

  En ceci le film de Miike différe totalement et n'accepte pas cette fin, puisque le héros revient d'entre les morts pour se venger, mécontent de son sort. On a au contraire l'impression ici qu'il accepte la mort pour mieux revenir, plus libre, dans sa nouvelle vie.


Au final Hideo Gosha livre un film superbe, aux couleurs soignées, avec un casting de rêve (Nakadai en méchant, Katsu en Izo, Mishima en guest parfait dans son rôle, et puis la jolie Mitsuko Baisho en Omino), pas si terrible que ça, qui marque plus par son humanité que par sa noirceur, pas sa tendresse envers Izo que par les combats bestiaux qu'il mène. Ces derniers sont par ailleurs très bon. Un film sur un homme révolté, un homme entier, broyé par son époque mais qui sera parvenu à la construire, à sa manière, débridée et foisonnante. Gosha arrive à captiver le spectateur pendant 2h20 avec le spectacle de sa vie, 40 ans de poussières n'auront pas été balayés en vain par la Wild Side qui s'offre la une première mondiale. Alors pour une fois qu'on a la chance d'être les premiers, profitez du DVD, dont les bonus sont extraordinaires !




Fiche Imdb d'Hitokiri.
Article de Wildgrounds + Galerie du film par le même blog.

Autres films d'Hideo Gosha: Goyokin, Kiba le loup enragé (I et II)



Carcharoth.




 



Publié dans Japon

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débatJe ne suis pas entièrement d'accord avec l'intégralité de ton plaidoyer, même si je pense que nous abondons dans le même sens. Mais je vais me réserver mes arguments pour le débat que je vais concrétiser, soit chez Wilsgrounds, soit chez moi :D <br /> Pour le reste, toujours aussi bon article ;) Bonne continuation
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